Le mur et La Haie
Projet théorique - 2016
« Le mur et la haie » est un projet de logements organisé autour d’un espace végétal vertical, complété d’un socle de commerces et bureaux. C’est le fruit de la rencontre avec les immenses murs-pignons de Buenos Aires, caractéristique étrange et marquante de la capitale argentine.
C'est également le résultat d’une réflexion personnelle plus générale : la recherche de formes urbaines répondant aux attitudes de retranchement résidentiel et d’entre-soi de manière moins nuisible pour le vivre-ensemble que les zones périurbaines ou, pire, que les enclaves sécurisées.
Buenos Aires, une architecture de pignons à renverser pour trouver le calme en plein centre-ville
À Buenos Aires, la silhouette des fronts bâtis est surprenante : les immeubles d’habitation sont étroits, profonds, et de hauteur extrêmement variée. Ils atteignent régulièrement la dizaine d’étages, avec, souvent, des bâtiments beaucoup plus bas pour voisins. Ce faisant, ils génèrent de gigantesques pignons opaques, les célèbres « medianeras ».
La situation est supposée temporaire, la densification de la ville sur elle-même devant se poursuivre, mais de nombreux vides se maintiennent pendant des années, et avec eux ces grandes parois, figées dans leur mutisme.
Ces façades aveugles démesurées résonnent comme autant d’opportunités manquées d’ouvrir les logements sur un environnement protégé de la rue et de ses nuisances. À Buenos Aires, ville où le trafic automobile est si dense et polluant, la généralisation de balcons filants sur des avenues si bruyantes semble en effet parfois inopportune.
Le projet propose de retourner le système : la façade sur rue sera à présent marquée par la fermeture, à l’exception du rez-de-chaussée, perméable, tandis que l’ouverture se fera sur l’intériorité de l’ilot, désormais habité.
Deux barrettes de logements viennent ainsi s’adosser aux medianeras pour densifier une dent creuse. Elles reprennent le gabarit des constructions voisines, mais se tournent l’une vers l’autre et présentent leur petit pignon comme façade urbaine. Elles sont unifiées par un socle qui, lui, sera porteur d’interactions avec la rue. Cette implantation pérennise l’image de ces vides dans le paysage, et surtout leur donne sens et usage.
Elle permettra au logement de jouer son rôle d’abri, de refuge où l’on se ressource avant de retourner affronter l’intensité de la vie citadine. Un logement à la fois proche et lointain de la vie de la cité, au sein d’un ilot qui autorise l’isolement tout en restant physiquement intégré à la ville. Un ilot qui dessine une forme urbaine autant fermée et protectrice pour l’habitant qu’ouverte et intrigante pour le piéton.
Le mur capteur, matérialisation du rapport ambigu à la transparence chez l’habitant du XXIe siècle
Le projet questionne la frontalité du rapport à la rue dans le logement d’aujourd’hui. Il tient compte d’abord de la mise à distance volontaire de la ville instaurée par une large frange de la population au cours de ces dernières décennies, séduite par le calme de la vie périurbaine. D’autre part, il fait écho au rapport paradoxal à la transparence d’habitants qui peuvent afficher leur vie privée sur internet tout en privilégiant le retranchement derrière murs et jardin quand il s’agit de se loger.
Ces considérations, combinées aux enjeux énergétiques de notre époque, ont conduit le projet à proposer une nouvelle réflexion sur le mur capteur. Ce procédé, inventé dans les années 1950-70, est un système de chauffage passif basé sur l’énergie solaire qui consiste à tirer profit de l’effet de serre. Un vitrage est placé devant un mur de teinte sombre, face au soleil. La chaleur est piégée dans la lame d’air, puis transmise à l’intérieur du bâtiment par conduction à travers le mur.
La Haie, espace végétal vertical en ville, qui sépare autant qu’il rassemble les habitants
L’intériorisation du projet impose la mise en place d’un filtre pour traiter les vis-à-vis et garantir l’intimité des logements. La réponse est cherchée du côté du développement pavillonnaire auquel le projet fait référence, et propose une réinterprétation de ses solutions assez littérale, non dénuée d’un certain cynisme.
Habiter le périurbain, c’est chercher à s’extraire de la ville, on l’a vu, mais c’est aussi tenter de se rapprocher de la nature. Une quête impossible selon Augustin Berque, géographe, puisque l’objet même de ce désir, la nature, est immédiatement détruit par l’installation humaine via l’artificialisation nécessaire de son cadre de vie. In fine, dans le but de sauvegarder les espaces naturels ou cultivés, mais aussi de réduire les coûts liés à l’étalement urbain, la taille des parcelles diminue, et avec elle celle de ces jardins tellement désirés. Ceux-ci se résument alors bien souvent à une terrasse, quelques mètres de vide enherbé rarement investi faute de temps, une haie séparative, et le jardin du voisin, globalement identique, en miroir.
Le projet mobilise cette image collective de la haie, et vient en planter une d’une toute autre échelle, en plein centre-ville ! Une haie qui sépare visuellement les habitants autant qu’elle peut les rassembler lors de moments de sociabilité choisis, autour des activités de jardinage notamment. Une haie « habitable », réserve de faune et flore verticale, garde-manger potentiel ou jardin ornemental, chaque habitant en décidera, ayant à sa charge l’entretien de la bande plantée face à son logement.
Une haie accessible depuis l’espace commun (sur le toit du socle), par la même circulation verticale qui dessert les niveaux de bureaux. Ainsi, en journée, les employés pourront en profiter, tandis que les habitants seront plus amenés à l’occuper le soir et le week-end. Quant à l’espace commun, ses usages ne sont pas figés et pourront être décidés par une assemblée des différents usagers de l’ilot, avec un degré choisi d’ouverture au « monde extérieur » : atelier de bricolage, salle commune, laverie collective, garderie, café co-working, cabinet médical, etc.
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Logement collectif
2Espace commun, services
3Bureaux, tertiaire
4Commerces